Écrire sa vie à quatre-vingt-douze ans
Un souhait de longue date
Monsieur Pierre Garcin ne peut plus écrire par lui-même et pourtant sa biographie s’écrit comme une évidence. Les mots coulent d’eux-mêmes, je les écoute, les couche sur le papier, ne touche presque rien et vois un récit passionnant se dérouler avec l’aplomb du témoignage qui n’attendait que d’être écrit. De tels moments, si simples en apparence et si riches en réalité, teintent d’une beauté singulière l’annotation « Propos recueillis par… » à laquelle on ne fait guère attention en général et derrière laquelle je suis fière d’apposer mon nom.
Avec l’aide d’une biographe
Je ne fais que recueillir effectivement ce que Pierre Garcin souhaite écrire depuis de nombreuses années. Sa vie de labeur, très occupée et généreuse, a fait qu’il n’en a pas trouvé le temps. Peut-être aussi, et ma pratique me le confirme à chaque biographie que j’accompagne, que de se retrouver seul avec ses souvenirs et ses phrases à aligner peut représenter une épreuve parfois trop difficile à dépasser. Raconter à une tierce personne, se livrer, en s’appuyant sur l’émergence du dialogue, la qualité d’écoute et quelques questions pour approfondir permet de se lancer dans son propre style narratif et de lui faire confiance.
Je vais chez Pierre Garcin à vélo parce que j’ai la chance d’habiter dans le même quartier romanais, non loin de l’usine où il a travaillé de nombreuses années, j’arrive chez lui où je suis accueillie très chaleureusement après la sieste, parfois en présence de sa fille, nous nous entretenons une heure environ, puis j’éteins mon enregistreur juste avant l’arrivée de l’infirmier, ou parfois en même temps, et nous nous saluons tous très cordialement.
Un homme et son époque
Je repars alors, inspirée, en repensant au titre qu’il donne à son livre Un homme heureux et à l’amplitude de l’histoire que cet homme discret sait raconter, au grand H qu’il lui rajoute sans le savoir car son récit raconte aussi une époque et un territoire.